Elle court toujours
Quand la bête est revenue dans nos rues, nous l'avions oubliée depuis le temps que nous l'avions chassée à coup de fourches et de lances et laissée pour morte au fond de sa tanière; nous n'y étions pas allés voir, négligeant sa possible survie. Il n'y avait plus que quelques vieillards cacochymes vivants de l'époque et personne ne les écoutaient plus depuis longtemps.
Quand l'odeur de souffre a commencé à se répandre dans nos rues, les villageois ont mis des fleurs aux fenêtres, se sont parfumés avec de plus en plus d'ostentation. Quand elle a pénétré dans les cuisines, les fenêtres se sont fermées, chacun grognant contre la pestilence, vouant aux gémonies les édiles qui ne remédiaient pas au problème.
Quand le monstre s'est présenté aux portes de la ville, il n'y eut personne pour le reconnaître et lui barrer les chemins. Il se mit à courir dans nos rues, dévorant sur son passage les enfants qui ne se sauvaient pas assez vite, faibles, malades, pauvres ou qui n'étaient pas accompagnés. Ceux qui pouvaient gardaient leurs enfants dans leur maison, leur palais, dispensant eux même l'éducation nécessaire. L'hydre se rabattit alors sur les mendiants et les éclopés, avec la bénédiction des commerçants qui voyaient leurs rues redevenir fréquentables. Certains allèrent même jusqu'à discuter avec elle pour lui recommander tel ou tel quartier.
Mais une fois la ville nettoyée de sa population indésirable, une fois les petits et les faibles dévorés, la bête s'est précipitée dans les étages bas des maisons, évitant dans un premier temps les hôtels et les palais puis s'y jetant avec autant de délectation que dans les bouges les plus infâmes.
Aujourd'hui, il ne reste plus que moi, réfugié en haut de ma plus haute tour et j'entends son pas lourd dans l'escalier.