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Ma vie, mon oeuvre
8 octobre 2008

Rameurs, ramons !

Au début, c'était un vrai travail d'artisan; bien sûr, nous étions dans la soute, mais nous pouvions toujours regarder passer les poissons volants et les mouettes, sentir les vagues et les embruns par les hublots. Notre tâche était simple, sélectionner les meilleurs blocs de charbon et les jeter dans la chaudière pour que la machine fonctionne parfaitement, sans gâchis ni soubressaut, les grands vilebrequins bien huilés tournant avec un grand chuintement graisseux. Nous étions bien nourris avec des mets de qualité et, même si nous ne mangions pas à la table du capitaine, celui-ci venait régulièrement vérifier que nous étions satisfaits.

Et puis un jour, le chef mécanicien est venu nous annoncer de grands changements; après une réunion au sommet, les experts suivant une étude de notre rendement avaient préconisé que nous lancions les blocs seulement avec la main droite.
- Mais c'est sans aucun intérêt, l'entrée de la chaudière est à gauche et je suis gaucher.
- Peut être, mais ce sont les experts qui en ont décidé ainsi.
- Ils auraient peut être pu venir nous voir avant pour en discuter.

Finalement on s'adapte toujours, jusqu'à la visite suivante de notre chef.
- Le rendement n'est pas assez important, il faut faire tourner la machine à plein régime. Alors finie la sélection manuelle, les morceaux de charbon seront sélectionnés à l'aide d'une pelle et plus à la main.
- C'est dommage, on va avoir beaucoup plus de gâchis, on risque d'abimer la machine, de l'user beaucoup plus rapidement.
- Peu importe, la décision est prise.
- Tant pis; où sont les pelles ?
- Vous les aurez le mois prochain. Pour le moment, vous commencez avec les mains.
- Mais c'est ce qu'on fait depuis le début ?!?

Un mois après, les pelles sont arrivées; nous avons déballé fébrilement les cartons pour voir qu'il n'y avait que les manches.
- Il y a eu une restrictions dans le budget du projet, les plateaux arriverons plus tard.

Entre temps le navire s'est agrandi, le capitaine sur le pont supérieur ne vient plus nous voir et notre chef beaucoup plus rarement et toujours un verre à la main. De plus, pour loger les nouveaux arrivants, les trieurs de charbon, les astiqueurs de pelle, les graisseurs de plateaux (eux étaient déjà là, mais c'était des prestataires de service), les dépoussièreurs, il a fallut ajouter des cloisons nous privant de la vue et de l'odeur d'iode et partager les repas devenus déjà plus frugaux et moins équilibrés.

De toute façon, à quoi bon ressasser le passé; quand la machine s'est enrayée et que le bateau a stoppé, notre chef nous a dit que, de toute façon le capitaine était parti depuis déjà un certain temps mais qu'il fallait continuer car, après tout, nous étions tous dans la même galère; puis il est remonté sur le pont supérieur terminer son apéritif avant de reprendre son golf.

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Commentaires
F
Excellente parabole (hélas, car ce qu'elle évoque n'est pas gai...) La répartition des tâches dans le monde mondial mondialisé : certains (les patrons de la finance) opèrent les choix, les autres (les gens ordinaires) assument les risques. Cf l'article de Slavoj Zizek dans le Monde du 9 octobre : "Lutte des classes à Wall Street".
G
Comme la situation est bien métaphorisée (ça se dit ? non, bon tant pis faisons comme si).<br /> <br /> Le coup des manches livrés seuls me rappelle un souvenir professionnel personnel et concret.<br /> <br /> J'aime beaucoup ta phrase finale.
J
bah oui, tais-toi et rame, Spartacus !
L
la bonne nouvelle : double ration de rhum<br /> <br /> la mauvaise : le capitaine veut faire du ski nautique
M
Rien à voir, juste pour t'indiquer que pour lire le fameux commentaire de KP, il suffit d'aller chez Gilda désormais... http://gilda.typepad.com/traces_et_trajets/2008/10/si-un-juriste-p.html
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