A chacun sa croix
Je les ai immédiatement reconnus, dès la porte de la rame franchie, un couple d'une soixantaine bien tassée, sans doute d'origine d'Europe de l'est, assis l'un en face de l'autre. Je les ai reconnu à l'odeur de leurs vêtements pas assez souvent changés et puis elle, surtout, à son rosaire aux petites perles bleues claires qu'elle égraine méthodiquement en susurrant ses prières plutôt qu'en les disant, se signant entre deux. Elle est suffisamment discrète pour que je puisse lire tranquillement mon ouvrage et je sors donc mon volume volumineux et ma paire de bésicles, indispensable accessoire de ma vue défaillante.
J'aurai pu poursuivre ma lecture jusqu'à ma station si je n'avais pas eu l'œil attiré par un changement dans le mouvement de ses mains. En portant mon regard au dessus de mes verres je l'ai alors vue décoller son fichu de dessus son oreille et se la curer soigneusement avec le petit crucifix métallique formant l'extrémité du rosaire.
Le christ pourvoit à tous nos désirs.