Pour vivre heureux vivons cachés
Un mur de brique à gauche, un autre à droite avec une plaque bleue estampillée "Rue des Iris" dans le 12ème arrondissement de Paris; en face un immeuble à un étage légèrement caché de la rue par une haie, devant laquelle quelques véhicules sont stationnés. Rien ne semble bouger, il y a peu ou pas de vent, de temps en temps une voiture passe ou quelqu'un, puis une jeune femme sort de l'immeuble visé. Des voix hors image parlent, nous sommes au début du film 'Caché' de Michael Haneke. On découvre petit à petit que toute cette séquence d'introduction, en plan fixe, est le contenu d'une cassette reçu par les personnages principaux de cette histoires, remarquablement jouées par Juliette Binoche et Daniel Auteuil; il y en aura d'autres, paraissant tout aussi sibyllines, plans fixes, travelling de l'intérieur d'une voiture. Haneke ne donne pas de point de vue ni de clefs pour comprendre; il se contente de mettre ses personnages dans une situation, souvent dramatique, et il regarde, froidement, comme un ethnographe ou, plutôt, un médecin légiste. Le film se termine comme il commence, par un long plan fixe, il n'y a pas vraiment de fin, le mystère n'est pas totalement élucidé, à nous, spectateurs, d'inventer la fin qui nous conviendrait.
Comme dans ses autres films la violence est partout, pas seulement dans les gestes mais beaucoup aussi dans ce qui se dit et, sans doute plus encore, dans ce qui ne se dit pas. 'Caché' parle de ces actes honteux que l'on enfouit au fond de la mémoire qui ressurgissent et balaient tout sur leur passage, qui nous fait mentir et provoque les pires catastrophes. Il montre aussi jusqu'où peut aller l'égoïsme et la recherche du confort personnel. Les personnages ne sont pas antipathiques, ils nous ressemblent tellement.
J'ai connu Michael Haneke avec 1992 avec son deuxième long métrage pour le cinéma 'Benny's video', un film d'une brutalité, d'une violence inouïe, se passant en huis clos dans une chambre d'un appartement; j'en étais sorti en retenant bien mal mes larmes tellement le constat était pessimiste. Et puis, il y a eu 'Funny games' qui avait reçu la palme d'or à Cannes qui restait sur cette même violence physique et psychologique. 'La pianiste', dans lequel on avait redécouvert une Annie Girardot époustouflante et une Isabelle Huppert n'ayant déja plus rien à prouver, jouait toujours et encore avec les tensions, les rancoeurs enfouies, les conflits de pouvoir.
Pour terminer, je conseille d'aller voir 'Caché' qui ne vous fait pas bondir à chaque instant tout en jouant (modérément) avec nos nerfs; à noter à ce propos l'absence totale de musique, ce qui est assez exceptionnel en soi mais aussi d'aller découvrir les oeuvres passées de ce maître de l'inconfort. Certain penserons qu'il faut aimer s'asseoir sur une punaise, d'autres que cela fait du bien de bousculer nos vies un peu trop rangées.