C'est le bouquet! - Vivace
Rachida est amoureuse et ça se voit. Depuis quelques jours elle sourit béatement autour d'elle, elle est d'une amabilité à toute épreuve, même avec les grincheux les plus récalcitrants, son investissement dans son travail s'est relâché quelque peu, limitant sa présence aux horaires stricts. Elle fait plaisir à voir avec ses tenues plus soignées, son envie manifeste de plaire.
Pourtant, malgré ses efforts vestimentaires, sa disponiblité accrue, cet amour qui l'empli et lui donne une énergie nouvelle, une ombre glisse parfois au fond de ses yeux.;Bérénice est jalouse, très jalouse, maladivement jalouse. Si, marchant à ses côtés, elle a l'outrecuidance de regarder une autre femme, ne serait-ce qu'involontairement, comme on regarde les gens qui passent autour de nous pour éviter tout contact fortuit, Rachida sens à la pression sur son bras que les beaux yeux de Bérénice se froncent, qu'un sillon charmant se creuse entre ses sourcils, que ses lêvres se serrent jusqu'à blanchir. Rachida aura beau lui démontrer tout son amour pour elle, lui expliquer la vacuité de ses soupçons, rien ne pourra empêcher la chute de la foudre sous le crâne de Bérénice. Même si les scènes ne sont pas quotidiennes, elles se répètent trop souvent gâchant souvent la joie de Rachida.
Hier, la scène n'a été ni plus ni moins violente que les autres, des mots sortent que l'on regrète aussitôt, brouillant les esprits; mais aujourd'hui, Rachida se sent d'humeur badine, enjouée même et, effaçant d'un revers de la main le souvenir de la soirée passée elle pense déja au bonheur de retrouver sa belle et au moyen de gratter le jeune palimpseste de leur vie commune.
Sortant de chez son employeur elle passe devant un fleuriste et, sans réfléchir plus loin, entre y acheter un superbe bouquet composé de roses rouges et jaunes, les préférées de Bérénice, puis se rend à leur rendez-vous quotidien, le point de rencontre de leurs itinéraires respectifs, le quai du métro Duroc.
Mai là, elle ne sait pas ce qu'il lui prend, un petit diable lui chuchote sans doute au creux de l'oreille, plutôt que de se précipiter dans ses bras en l'embrassant longuement, se moquant complètement des regards obliques, elle plante ses yeux dans ceux de Bérénice qui l'attend déja au bout du quai puis se précipite vers son collègue Etienne qui recule à l'approche de la rame, lui tend le bouquet avec un grand sourire en disant "cadeau!".