Que reste-t-il ?
Avant, nous avions la liberté; la liberté de na pas être d'accord et d'aller le dire ou le clamer haut et fort, de ne pas être d'accord et de ne pas en être inquiété. En l'espace de six années, les mises en examen ont augmenté de soixante sept pour cent. On arrête pour un oui ou pour un non, le délit d'outrage survenant un peu trop facilement car, avant tout, il faut faire du chiffre.
Avant, nous avions l'égalité; l'égalité devant la justice, par exemple. Qu'on fut blanc ou noir, riche ou pauvre, jeune ou vieux les enquêtes étaient menées de la même manière, sans discrimination, par un juge d'instruction, celle ci se faisant aussi bien à charge qu'à décharge. Aujourd'hui on parle de prendre modèle sur le système anglo-saxon dans lequel l'enquête sera livrée au privé, un bon avocat bien cher étant alors plus fiable qu'un autre. Pareil pour le système de santé qui permettait, depuis la fin de la guerre, d'être pris en charge et soigné quelle que soit sa condition.
Avant, nous avions la fraternité; la solidarité était enseignée, elle était un mode de vie naturel, la main tendue, le partage de l'agréable et du désagréable. Aujourd'hui, la voila criminalisée, on vous arrête pour avoir aidé une personne sans papiers, on vous passe à tabac parce que vous intervenez lors d'une arrestation musclée, on vous assigne pour outrage si vous vous élevez contre l'injustice.
Après avoir tourné la page de mai 68, je crains que le grand livre n'aie été pris dans une tempête difficilement contrôlable et les pages se tournes les unes après les autres, par petits paquets; nous venons à peine de voir défiler à l'envers les pages les plus glorieuses de la libération que déja se profile le passage de celles de 1789. Deux cents ans foutus en l'air en à peine plus d'une. C'est beau le progrès.