Jamais deux sans trois
C'est le téléphone qui m'a tiré du sommeil. Sa sonnerie aigrelette et répétée a eu raison de mes derniers liens avec Morphée.
J'extrais mon bras avec difficulté, tends la main vers le combiné, le cherchant à tâtons et finis par décrocher.
- Allllllllo....(voix pâteuse).
- C'est ton père.
- Ah? bonjour, comme vas tu ?
- Ça ne va pas, ta soeur a fait une connerie! Elle est en réanimation au centre anti poison. Nous t'y retrouvons.
CLAC.
Qu'est-ce qui a fait le plus de bruit du combiné reposé sans ménagement ou de la claque reçue au cerveau ?
J'essaie de digérer l'information. Je sais ce qu'elle a fait, elle m'en avait parlé, sans donner de détails.
Deux
semaines avant, sans nouvelles de tout un week-end, j'avais débarqué
chez elle, secouant la propriétaire de l'appartement pour y avoir
accès, persuadé que j'allais retrouver son corps endormi à jamais sur
son lit. Le soir, lui racontant l'aventure, calmé par son dénouement,
elle m'avait dit que c'était rassurant, qu'on ne la découvrirait pas
grâce à l'odeur. J'avais ri, soulagé de la retrouver détendue, en
forme, presque joyeuse.
Je suis parti errer dans Paris baignée
de soleil et de chaleur, sans but, assomé d'angoisse et d'espoir. Et
même, pour essayer d'effacer la nouvelle, de conjurer le sort, je suis
allé au cinéma. Je pourrais vous dire le titre, raconter l'histoire, ma
mémoire en est capable; je n'en ai même pas honte, même si je ne l'ai
jamais dit avant, surtout pas à mes parents qui auraient été incapables
de comprendre. En les retrouvant, j'ai dit que j'avais marché sans but,
sans notion d'heure, ce qui, finalement, était presque vrai.
J'ai
alors vu les médecins; j'ai alors appris les détails, un arrêt
cardiaque de vingt minutes; j'ai alors vu mes parents perdre la raison,
mon père dire "Sauvez ma fille, même si elle doit être un légume". Le
médecin "Les statistiques montrent qu'aucun patient ayant absorbé plus
de quatre grammes de *** ne s'en est sorti. Elle en a pris dix
grammes". Elle ne voulait pas se rater.
Ont suivis quatre jours
d'agonie, quatre jours à attendre, à espérer le miracle, à souhaiter
qu'il n'ai pas lieu. Comment imaginer mes parents passant le restant de
leurs jours à côté d'une personne incapable du moindre geste quotidien;
comment les imaginer face à leur culpabilité vivante et muette ?
Et
puis, il y eut cet appel nocturne de mon frère, le ramassage en
voiture, la route vers l'hôpital de Montreuil, l'attente dans un
couloir asseptisé et, enfin, mes yeux ont trouvé les larmes.