Une vie de chien
"Ils sont mignons, vos chiens".
La femme trainait en tailleur chanel rouille, chapeau plat sur le chef, une montre sertie de brillants au poignet, une laisse double dans la main à laquelle étaient accrochés deux bassets artésiens au poil fatigué. Sa bouche portait, tout autour des lèvres, ces petites rides radiales qui sont signes de la crispation du mépris exprimé avec régularité. Visiblement, elle sortait contrainte et forcée par ses animaux de compagnie, peut être abandonnés par un mari, forcément riche, convolant sous des cieux plus jeunes, pris par le démon de midi.
Je fis semblant de m'intéresser à ces deux animaux, croisement douteux entre une enclume et un traversin, l'oeil toujours triste même quand la queue semble dire le contraire, les oreilles pendantes et, dans les cas qui m'intéressaient, la couleur un peu passée, sans doute de trop de lavages. Mon attention marquée cachait l'inquiétude d'un épanchement affectif de leur part provoquant un labourage de mon pantalon avec leurs longues griffes ou, pire, d'un marquage de territoire comprenant mes chaussures fraichement cirées.
- Je peux leur donner un sucre ?
- Vous n'y pensez pas! Gaëtan et Grisolinde ne mangent que du Beluga Royal!