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Ma vie, mon oeuvre
20 mars 2007

Toucher le fond

Le 10 mars 1906, une terrible explosion retentit dans la mine de charbon de Courrières. 1200 mineurs ne remontent pas. Après trois jours de recherches la Compagnie cherche plus à sauvegarder la mine que les mineurs; elle fait murer la mine. Pourtant, trois semaines plus tard, treize mineurs reviennent au jour.
Ce n'est pas une fiction, seulement une événement qui a été couvert par des journalistes. Jean-Claude Poitou, écrivain, journaliste et militant syndical s'est mis dans la peau de l'un d'entre eux pour faire revivre cette époque avec force documents d'archive. Je vous livre un extrait de son ouvrage,
Courrières, la mine d'enfer, que je lis en ce moment.
Qui peut dire que, pour des raisons semblables, celà ne se reproduira pas ?

Ce soir, en passant devant l'entrée du 2 (c'est le nom d'un puits), j'ai remarqué une femme. Elle devait être très jeune. Silhouette frêle, à peine visible derrière les tourbillons de neige. Une ombre noire et blanche à la fois. Elle avait les deux mains agrippées aux grilles du carreau. De ses yeux fixes, elle semblait regarder quelque chose que je ne voyais pas. Je me suis aperçu que ses lèvres bougeaient. Sûrement, elle lui causait... Sans cris, sans haussement de voix, paisiblement. Elle disait les paroles qu'on échange le soir devant l'assiette de soupe fumante, et qui racontent la journée, le temps pourri qu'il a fait, les prix du marché ou la mauvaise humeur de la voisine. Peut être, lui disait elle la dernière bêtise des enfants ? Avait elle seulement des enfants ? Je n'ai pas eu l'impression qu'elle pleurait. On peut être tellement triste qu'on a épuisé sa réserve de larmes! Et moi, j'entendais l'autre, je l'imaginais la cuiller à la main " Un peu chaude, la soupe ", racontant la dernière vacherie du chef porion et aussi que les choux de Martin avaient bien réussi cette année et qu'il avait promis de lui en apporter un demain. Et qu'il faudrait, à la prochaine paye qu'elle aille à Lens pour acheter une nouvelle robe, car bientôt, ce sera le printemps et que la beauté de sa femme, c'est important pour un mineur... Et sûrement qu'elle était belle.

Il faisait nuit. Il faisait froid et la fille se couvrait peu à peu d'une cape blanche. Elle devait avoir tant à lui dire! On n'entendait, assourdis, que les mille bruits des soldats du génie qui préparaient leur cantonnement. Des chocs de gamelles, des appels, des pas de chevaux, des claquements de portes. Une armée, ça ne sait pas respecter le silence. Et moi je restais dans l'ombre à quelques pas de la fille, indiscret, comme écoutant aux portes, forçant une intimité à laquelle je n'avais pas droit.

Puis, elle s'est agenouillée. Elle a embrassé la terre, les lèvres dans le mélange de poussier et de neige. C'était le baiser du soir, celui qu'on échange dans les draps au moment où le sommeil vous assomme.

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Commentaires
D
Peux tu nous donner les coordonnées de ce livre? Cet extrait est très touchant...
F
Il semble que le spectacle de Marie-Claude Pietragalla "Conditions Humaines" soit basé sur la même histoire :<br /> http://www.pietragalla.com/
L
un extrait qui donne envie de dévorer le livre.<br /> <br /> combien sont ils enfouis encore, combien sont ils qu'ils le seront....?<br /> <br /> qui n'auront jamais plus ce baiser du soir si doux...
W
Non seulement c'est une vraie histoire de la douleur de l'absence mais en plus il a trouvé le ton qu'il faut.
Ma vie, mon oeuvre
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