Au milieu de mars[1]
Décidément, le métro est un lieu d'étude sans fin, d'observation sans limite du comportement humain.
Ce matin, je m'installe à une place encore vacante, ce qui n'est pas toujours évident même pour moi qui part du terminus, et ouvre mon livre, un gros volume de plus de mille pages que je n'arrive pas à terminer malgré l'envie que j'en ai. Vient s'assoir en face de moi, sans doute dans la demi seconde qui suit, la précipitation pour l'accession aux places assises permettant au passage de bousculer quelques personnes et de marcher sur des pieds de toute taille, une petite femme qui, à peine posée sur la banquette a sorti son téléphone cellulaire, a composé un numéro ou l'a sélectionné dans son répertoire et a entamé une conversation qui ne s'est terminée pour moi que quinze stations suivantes parce que nous y descendions tous les deux mais que je marchais plus vite qu'elle. D'accord, elle ne parlait pas une langue que je pouvais comprendre mais il m'était difficile de suivre mes dialogues et mes intrigues avec cette logorrhée lancinante qui me traversait les oreilles.
De plus, peu après, une femme est venue occuper le dernier siège vacant à un saut de puce du mien accompagnée d'une petite fille de cinq ou six ans qui a commencé a beugler car il n'en restait pas pour elle. Prise sur ses genoux par la femme, après de longues tractations, elle s'est mise à débiter des sons plus ou moins articulés, les uns à la suite des autres qu'on ne pouvait confondre avec des mots, d'une voix forte et grave qui ne permettait pas de s'en abstraire.
Je ne vous parle pas non plus des nombreux outils permettant d'écouter individuellement de la musique, avec des écouteurs bien plantés dans les oreilles, poussés à un tel niveau sonore qu'on peut fredonner l'air, quand ce n'est pas de la techno, de l'autre extrémité de la voiture, ou des conversations entre connaissances au mépris de toute discrétion.
Pendant un instant j'ai eu l'envie très forte et pressante de dire à haute et intelligible voix les mots que je lisais, les comprenant avec grande difficulté. Et puis je me suis dégonflé. Je tenterai la prochaine fois car, malheureusement, je sais qu'il y aura une prochaine fois.
[1] Le titre de la note est une référence au titre de mon livre. Comprenne qui peut.