L'art du déménagement
Les bruits courraient déjà depuis quelques jours, radio-moquette avait répandu ses effets du haut en bas de l'immeuble, la réunion n'était donc guère une surprise. L'annonce fut crue, l'entreprise était sur le point d'être vendue, vendue au concurrent étasunien dont on était en train de nous dire le plus grand bien, le concurrent sur lequel on avait tapé si dur peu avant. Tout allait bien se passer, c'était une maison sérieuse avec beaucoup d'expérience.
Quelque jours plus tard le verdict tomba, l'entreprise était vendue, l'équipe technique, la moitié des employés, disparaissait. Pas vraiment d'étonnement, nous avions fait de même avec les filiales belges et hollandaises. La direction ne voulait pas négocier les primes de licenciement; ce fut le premier, et le plus court, conflit social que j'ai vécu.
Acte I : Au matin, arrivés tôt sur notre lieu de travail nous constatons l'absence de gardien. Prenant prétexte de la sauvegarde de l'outil de travail nous bloquons les accès à l'immeuble. Au fur et à mesure des arrivées, certains nous rejoignent, d'autres rentrent chez eux, tous discutent. L'équipe dirigeante se tient à l'écart. Elle est jeune, c'est leur premier conflit, ils ne savent pas gérer; on voit bien que des appels téléphoniques sont passés.
Acte II : Nous voyons surgir de nulle part un homme en tenue de vigile, logo de l'entreprise chargée du gardiennage sur l'épaule, venir vers nous et, arrivé à moins d'un mètre nous arroser de gaz lacrymogène, puis profiter de notre surprise pour pénétrer dans l'immeuble. L'effet est insupportable, ça brule terriblement, l'un de nous fait un malaise.
Acte III : Revenus de notre stupeur, nous apelons les pompiers, la police et bloquons à nouveau les accès pour empêcher toute fuite. La police mettra du temps pour venir mais, elle en mettra encore beaucoup plus pour ressortir de l'immeuble; nous l'apprendrons peu après, l'homme fait partie de leur maison et arrondissait ses fin de mois dans l'entreprise de gardiennage.
Acte IV : La direction impliquée à 100% dans ce fiasco accepte de négocier.